01/04/2024

Je n'aime pas le classique, mais ça j'aime bien

Évocation rapide des influences de la musique classique dans le psychédélique.

A partir de 1966, il y a eu évidemment la « baroque pop » avec ses chansons arrangées avec soin, incorporant des styles de composition classiques (mélodies contrapuntiques et harmonies fonctionnels) et ses instruments (clavecin, hautbois, cor, cordes).

 
Dans son article Free Your Mind and Feed Your Head: How Psychedelia Went Prog (2016), Joe Banks rappelle qu'un schisme décisif a eu lieu à la fin des années 60 des deux côtés de l'Atlantique, autour d'un besoin de retour à aux racines. Des groupes psyché américains adoptèrent un son plus influencé par la country et le folk, alors que pour des homologues britanniques renouer avec le passé consistait à mélanger compétences techniques et traditions musicales européennes, classiques et ecclésiastique.
 

 Des grecs :

 Avec tout de même quelques américains :

L'exploitation de cet héritage culturel ouvrit la porte du psychédélisme vers le progressif.

En effet, outre son effet sur le son la révolution psychédélique a promu l'idée que le rock pouvait être une discipline sérieuse. (...) Le prog magnifiât cette tendance, chez les groupes et leurs fans. (...) Au mieux, cela produisait une musique excitante qui n’avait pas peur de défier son public, tant sur le plan intellectuel que dans ses compositions ; au pire, un climat de snobisme et de supériorité où la pop à singles était méprisée, reproduisant l'attitude dont le rock avait été victime quelques années auparavant.

Si les groupes psyché avaient cherché à offrir une expérience immersive, à l'aide de projections et de drogues, faire tripper ou élargir les consciences, le prog croyait au pouvoir du spectacle, voulait capter l'attention et impresssioner.

Avec les emportements du prog, son culte de la virtuosité, les « boring old fats » dénoncés par les punks, il en résulta une disparition quasi totale du sentiment d'une spécificité de la culture jeune, ou d'une tradition qui traversait le rock et incluait ses formes populaires les plus commerciales.

Note : le titre de la note est une allusion à la compilation éponyme sorti en 2008 chez Sony Classical.

20/01/2023

Synthedelia

Petite note sur la musique électronique et psyché de la fin des années 60.


Dès les années 50, la musique électroacoustique et les bandes originales de films s'étaient aventurées vers le futurisme et le cosmique.



Divers groupes de la décennie suivante, en pleine ère acide, embrassèrent les synthétiseurs et les techniques de manipulation de bande chères à la musique concrète.









Leur approche commune de l’électronique était abstraite et sonore, utilisant souvent des instruments faits main. Contrairement à la plupart des premières utilisations de synthés dans le rock d'alors, il ne s'agit pas uniquement d'ajouts décoratifs mais des incorporations au sein même des compositions ou des jams.

Simon Reynolds nomme tout cela « synthedelia », un moment perdu de l'amour pour le synthé modulaire dans la musique rock, surtout nord-américaine, qui malheureusement a dépéri au lieu de s'épanouir comme chez ses correspondants allemands.

Sources : 

Benoit Sabatier, Le Synthé Débridé (2015)

01/12/2022

Art Nouveau Revival

Petite note sur l'influence de l'Art Nouveau sur l'esthétisme psychédélique, basée sur les articles du catalogue de l'exposition Art Nouveau Revival 1900 • 1933 • 1966 • 1974 qui se tint au Musée d'Orsay lors du froid hiver 2009-10.


Depuis les années 50, les affiches pour les concerts ou festivals de musiques pop étaient majoritairement fonctionnelles et informatives.


Les expositions de New York en 1959 (Art Nouveau. Art and Design at the Turn of the Century au MoMA) et de Paris en 1960 (Les sources du XXe siècle: Les arts en Europe de 1884 à 1914 au MNAM) placèrent l'Art Nouveau, ses affichistes et ses illustrateurs, sur le devant de la scène : Alfons Mucha, Henri de Toulouse-Lautrec, Henri Privat-Livemont, Eugène Grasset, Georges de Feure, Will H. Bradley ou encore Aubrey Beardsley.


A partir de 1966, une toute nouvelle génération de graphistes participèrent à la métamorphose des affiches musicales dans un grand chambardement, un éclatement des lignes et des blocs (...) mixant, concassant et pulvérisant ses influences pour en faire rejaillir des formes totalement imprévisibles et inattendues.

 

Les deux époques partagent des thèmes récurrents : motifs féminins et organiques, volutes capillaires, végétales et plumeuses, fluidité et déformations d'éléments dont les caractères typographiques.

Pour Philippe Thieyre, réduire le développement des affiches psychédéliques à une simple filiation avec l'Art Nouveau serait erroné. En effet, ces influences n'ont inhibé en rien le pouvoir créatif des artistes : l'art pictural psychédélique utilisant tous les procédés disponibles, mélangeant la photographie, le dessin, le collage, et repousse les limites et les règles préétablies.

23/11/2022

Acid Rock vs Psychedelia

Il est temps de se pencher sur la nuance entre les termes « psychedelia » et « acid rock ».


Simon Reynolds chercha une distinction possible sur un de ses blogs.

PsychedeliaAcid rock
divin, fantaisistepénible à l'oreille, bruitiste
dandies lysergiques hippies hirsutes
mise en forme en studio improvisé lors de jams
britanniqueaméricain

Un soupçon de vérité est joliment illustré par deux groupes homonymes, un londonien et un angelenos.

versus

Les groupes britanniques prenant ses repères des Beatles et les groupes américains des Beats.

Evidemment cette idée dichotomie de part et d'autre de l'Atlantique ne tient pas totalement la route. Le critique propose même nombreux contre-exemples issus de la scène californienne :
  • Béatitude façonnée par la production.
  • Immersions dans des bizarreries de studio.
  • Blues cristallisé.

Mais finalement, le psyché a toujours un peu plus de « pop ».


18/11/2022

Raga Rock

Petite note sur l'influence de la musique du sous-continent indien dans le psychédélisme.


La musique classique hindustani a tout d'abord infusé le jazz modal dans les années 50.
 
Certains musiciens indiens, comme Ravi Shankar et Ali Akbar Khan, connurent une notoriété internationale en Occident dans les années 60 et devinrent une référence pour les rockeurs psychédéliquesCes derniers furent les premiers à en populariser les instruments (sitar, tambura, tabla) dans un contexte pop, s'appropriant également les éléments compositionnels du raga, comme les bourdons, l'harmonie modale, les rythmiques et les thématiques liées au mysticisme et à la symbolique religieuse.




 
 
 
 


"It is strange to see pop musicians with sitars. I was confused at first. It had so little to do with our classical music. When George Harrison came to me, I didn’t know what to think, but I found he really wanted to learn. I never thought our meeting would cause such an explosion, that Indian music would suddenly appear on the pop scene. It’s peculiar, but out of this, a real interest is growing." Ravi Shankar
L'étiquette « raga rock »,  tenté par le publicitaire des Byrds en 1966, devint un descriptif pour toute chanson évoquant une ambiance indienne ou orientale. 

Dans A Republic of Mind and Spirit: A Cultural History of American Metaphysical Religion (2008), Catherine L. Albanses invente le terme d' « Asie métaphysique » pour décrire la synthèse particulière qui est née de cette rencontre prolongée et résultant dans la réinvention de l’Asie du Sud et de l’Est selon les catégories métaphysiques américanisées :
  • une préoccupation de l'esprit et de ses pouvoirs
  • une prédisposition à l'ancienne théorie cosmologique de la correspondance entre les mondes
  • une pensée en terme de mouvement et énergie
  • un désir de salut compris comme réconfort, thérapie et guérison
Le transcendantalisme avait préalablement grandement contribué aux stéréotypes new age sur l'Asie, avec la dichotomie entre un Occident matérialiste et un Orient spirituel. Ainsi, très rapidement, l'expérimentation par des apports musicaux extra-européens céda la place à la capitalisation d'un signifiant sûr. Et les sonorités indiennes devinrent LE cliché de la musique trippante pour hippies.

Sources / pour aller plus loin :

David Rassent, Rock psychédélique (2017)
William Echard, Psychedelic Popular Music: A History through Musical Topic Theory (2017)

13/10/2022

Phármakon

Psyché = drogue ?


Lorsqu'il est utilisé pour qualifier de la musique, l'adjectif « psychédélique » renvoie à la contre-culture sixties et son utilisation de psychotropes pour expérimenter hallucinations, synesthésie et états de conscience altérée.

Par extension, le terme désigne évidemment les œuvres sonores rappelant ou simulant les distorsions psycho-sensorielles provoquées par ces drogues. Majoritairement cannabis, LSD et mescaline.


Pourtant, en élargissant le spectres des substances et des styles, nous trouvons facilement d'autres témoignages d'effets de la chimie sur le psychisme et les compositions de musiciens. Bien que le terme « psychédélique » n'y soit jamais associé.

En vrac et non exhaustivement :
  • le bebop avec l'extase violente et orgasmique de l'héroïne
  • la beat music, puis le punk, avec l'accélération hyperexcitante des amphétamines.
  • le reggae et le dub avec la distanciation anxiolytique de la ganja
  • le disco avec le sentiment d'invulnérabilité anesthésié de la cocaïne
  • l'acid house et la rave music avec la désinhibition entactogène de l'ecstasy
  • le romantisme avec les rêveries profondes de l'opium.

20/06/2022

Quid des femmes du psychédélisme ?


Le psyché ne fit clairement pas exception dans la domination des musiques rock et folk par des musiciens masculins, reléguant leurs homologues féminines au rôle quasi exclusif de chanteuses. 

Dans The Sex Revolts: Gender, Rebellion and Rock'N'Roll (1996), Simon Reynolds et Joy Press expliquent, qu'à l'instar de ses ancêtres, romantisme et dada, le psychédélisme se méfiait de la logique masculine et proposait de cultiver la réceptivité et le flux 'féminins'.

Or les représentations idéalisées de la femme et de la féminité de la contre-culture sixties se manifestèrent régulièrement sous deux formes : un mysticisme cosmique et/ou océanique, ou une vénération de Mère Nature. Soit une conception ne s'éloignant pas trop des stéréotypes sexistes constituant le genre féminin : émotion, vulnérabilité, attention et maternité.

Les interprètes cultivèrent alors plusieurs archétypes de chanteuses hippies, articulés autour de deux axes originaux : 
  • la révolte sexuelle et émotionnelle, à la recherche d'une force sauvage féminine différente mais équivalente à la masculine
  • le jugement sévère tantôt froid tantôt matriarcal des mauvaises manières des hommes
En voici quelques exemples :










Et voici un des premiers groupes de rock exclusivement féminins, qui contrairement aux formations mixtes ci-dessus, n'eut aucun contrat discographique à l'époque.

Sources :

Simon Reynolds & Joy Press, The Sex Revolts: Gender, Rebellion and Rock'N'Roll (1996)
Zones subversives, Culture rock et domination de genre (2021)